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07/07/2014

JOLI MOIS DE JUIN POUR LA LAÏCITÉ (P. Kessel)

Je ne peux pas résister à vous faire partager cet édito de Patrick Kessel, président du Comité Laïcité République (CLR)...

EDITO JUILLET 2014
JOLI MOIS DE JUIN POUR LA LAÏCITÉ
par Patrick Kessel
Président du Comité Laïcité République
Quel joli mois de juin! Les occasions de se réjouir en matière de Laïcité
sont assez rares pour que nous ne boudions pas notre plaisir. La décision
de la Cour de Cassation concernant la crèche Baby-Loup marque
indéniablement une victoire de la laïcité sur un sujet devenu, au fil des ans,
symbolique de l'importance des enjeux. Une victoire juridique, une
victoire culturelle, philosophique et un début de victoire politique.
- C'est une décision essentielle du point de vue juridique qui va faire
jurisprudence notamment s'agissant de l'ouverture de crèches laïques et qui
permettra à toute entreprise du secteur privé de faire prévaloir la neutralité
religieuse (dès lors qu'elle dispose des motifs légitimes pour le faire). Mais
il ne s'agit que d'une victoire d'étape. Le domaine d'application de la
laïcité, jusque là limité au secteur public, ne se retrouve pas étendu à tout
le privé. Pourtant, la montée des revendications communautaristes dans les
entreprises ne fait que progresser, suscitant parfois des situations de grande
tension. Pour y faire face, le responsable de l'entreprise Paprec a eu
l'audace de proposer à son personnel une charte de la laïcité. Celle-ci,
adoptée à l'unanimité, garantit notamment l'égalité entre hommes et
femmes. Le CLR s'en est félicité. Mais il ne sera bientôt plus possible de
traiter les situations au cas par cas. Un jour ou l'autre, il conviendra de
légiférer ou à tout le moins d'adapter le code du travail pour porter remède
à des situations inacceptables qui ouvrent la voie à des réactions populistes
dans le monde du travail.
- La victoire est aussi culturelle. La décision de la Cour a été prise dans un
contexte où, après des années de confusion idéologique, se manifeste une
certaine prise de conscience des dangers de la situation. Le
communautarisme se développe désormais dans toutes les sphères de la
société: écoles, crèches, universités, hôpitaux, prisons, armée, police,
activités sportives, entreprises privées. La vie politique elle-même est sous
pression ce dont témoignent les financements croissants d'associations
soi-disant culturelles, en fait souvent cultuelles, par les conseils régionaux,
généraux et municipaux. On croit acheter avec des subventions la
tranquillité des quartiers, la paix sociale. On croit intégrer. En fait, on
fragilise la citoyenneté. On croit faire du social. On fait du sociétal. C'est
la raison pour laquelle le CLR et de nombreuses associations laïques
avaient demandé au candidat François Hollande d'intégrer les principes de
la loi de 1905 (notamment son article 2 qui stipule que la République ne
reconnaît, ni ne subventionne aucun culte) dans la Constitution. Ce qu'il
s'engagea à faire mais le Conseil Constitutionnel en décida autrement.
Cet arrêt de la Cour est culturellement important alors que les thèses
communautaristes ont conquis des positions fortes, y compris au sein d'une
partie de la gauche et des Verts. Natalia Baleato, la courageuse directrice
de la crèche Baby-Loup, autrefois emprisonnée dans les geôles de
Pinochet, fut ainsi menacée, traînée dans la boue, traitée de « raciste » et
d’ « islamophobe » par de belles âmes "progressistes" pour qui le droit de
porter le voile dans la crèche passait avant le respect de la conscience des
enfants!
Le combat contre le racisme est ainsi instrumentalisé. La liberté de
religion est dressée contre la laïcité alors que si la liberté de croire (ou de
ne pas croire) est totale, la liberté d'exprimer publiquement sa foi peut-être
encadrée par la loi. Le Procureur de la République a ainsi rappelé devant la
Cour de Cassation qu'il est des cas où la loi met des limites à la liberté
individuelle parce que tel est l'intérêt du vivre ensemble. Il en est ainsi, a-til
dit, de l'interdiction de la vente publique d'alcool aux mineurs. Il ne
viendrait à l'idée de personne de dénoncer ce principe de protection de la
jeunesse en y dénonçant une intolérable discrimination! En ce sens, la
décision de la Cour est philosophiquement décisive car elle désavoue ceux
qui ont voulu exploiter l'affaire Baby-Loup pour retourner la laïcité contre
elle-même en la présentant comme attentatoire à la liberté quand elle en est
la condition.
- Cette décision de la Cour marque enfin une première victoire politique,
modeste mais réelle. Car l'extrême-droite se nourrit de ces mal-vivre que le
déni ne suffit à masquer. Ainsi a-t-elle atteint, cet hiver, les inquiétants
scores électoraux que l'on sait. Les causes économiques et sociales sont
déterminantes pour expliquer que le peuple, en particulier celui qui
longtemps vota à gauche, puisse partiellement apporter ses voix au Front
National. Le spectacle désolant des relations entre la politique et l'argent
n'arrange rien. Mais ces raisons n'expliquent pas tout. La déchirure est
aussi culturelle. Le repli identitaire sur les communautés d'origine nourrit
la réaction xénophobe et nationaliste.
L'institution judiciaire a eu le courage de défendre la laïcité au moment
où elle semblait fragilisée. Il importe que cette volonté se traduise au plan
politique. Les élus sauront-ils à leur tour prendre leurs responsabilités et
l'initiative de lois lorsqu'elles s'avèrent nécessaires? Car, c'est à la
représentation nationale de s'exprimer au nom du peuple tout entier.
- Joli mois de juin qui a vu également la Cour européenne des Droits de
l'Homme valider l'interdiction du port de la burqa en France. Même si
cette loi n'a pas été adoptée au nom de la laïcité mais de la dignité des
femmes et de la sécurité publique, la décision européenne contribue à son
tour à limiter les revendications des communautaristes qui entendent se
servir de l'Europe pour contourner et combattre l'égalité et la laïcité.
- Joli mois de juin encore avec la publication du rapport annuel du
Collectif des associations laïques auquel le CLR a apporté une
contribution importante. Un rapport qui plaide pour "une meilleure
application de la laïcité en France". Contestant l'idée selon laquelle il n'y
aurait pas de problèmes de laïcité en France, le Collectif appelle à un
sursaut face à la progression de la fracture identitaire et religieuse et au
renoncement croissant aux principes laïcs qui permettraient d'y faire face
(voir le rapport sur le site du CLR).
- Joli mois de juin enfin avec la publication à la Une de Marianne (n° 897
du 27 Juin au 3 juillet 2014) du Manifeste: "Laïcité: il est temps de se
ressaisir". Un appel lancé par des dizaines de femmes et d'hommes
d'horizons différents qui se déclarent "inquiets de voir à quel point, face à
l'action engagée par diverses mouvances religieuses et politico-religieuses
pour attenter à la laïcité républicaine, la réponse politique demeure
faible". Il faut dire que ce dossier qui autrefois opposait la gauche laïque à
la droite cléricale, divise désormais chaque rive de la République. "Il y a,
sur la laïcité, une gauche Badinter et une gauche Bianco, une gauche
Comité Laïcité République et une gauche Terra Nova, ce think tank
multiculturaliste qui plaide pour une « citoyenneté musulmane », écrit
ainsi Eric Conan dans un brillant article qui accompagne la publication du
Manifeste par Marianne.
L'"affaire Baby-Loup" et la décision de la Cour de Cassation auront-elles
contribué à une prise de conscience salutaire et durable en matière de
laïcité? Rien n'est certain et la mobilisation sera indispensable à la rentrée
qu'il s'agisse, parmi d'autres sujets, des mères voilées accompagnatrices de
sorties scolaires, du Concordat, du droit à mourir dans la dignité que
soutient une immense majorité de Français mais contre lequel les autorités
religieuses exercent une forte pression.
D'ici là, et en attendant la cérémonie de remise des prix de la Laïcité qui
aura lieu fin octobre à la Mairie de Paris et dont le jury est cette année
présidé par Jean Glavany, député, ancien ministre, faites le plein d'énergies
laïques.
À cette fin, je vous recommande la lecture de deux ouvrages majeurs:
Penser la Laïcité, (Ed Minerve) de Catherine Kintzler et le Dictionnaire
amoureux de la Laïcité (Ed Plon) de Henri Peña-Ruiz, sans oublier une
passionnante “enquête sur les créationnismes” (Ed Belin) de Cyrille
Baudoin et Olivier Brosseau, préfacé par Guillaume Lecointre.
Bonnes lectures et bonnes vacances.
Patrick Kessel

Beau mois de juin pour la Laïcité.pdf